Manifeste
pour définanciariser l'entreprise et restaurer le rôle contributif de l'encadrement

Inverser le processus pour mettre les richesses au service du progrès économique, social et environnemental

Près de 10 ans après la crise des subprimes qui a causé la plus grande récession économique mondiale, force est de constater que les Spin Doctors ont encore mis en œuvre la stratégie du choc. Causée par les bulles spéculatives et la dérégulation des marchés financiers lancée par Thatcher et Reagan, la crise a été utilisée pour imposer des saignées sociales. La vraie question, celle de la définanciarisation de l’économie, de l’entreprise et du travail, n’est pas posée et une nouvelle crise peut éclater. 63 000 faillites d’entreprises en France en 2015 et une distribution record de dividendes, ces deux chiffres trop rarement rapprochés diagnostiquent l’asphyxie de notre économie par le coût du capital des multinationales.

un critère unique : la rentabilité financière

Ce choix de gérer l’entreprise en fonction d’un seul critère – la rentabilité financière – met en danger le devenir des entreprises et de notre société. La hausse des dividendes et des plus-values occasionnées lors des rachats d’actions n’apporte rien à l’entreprise. Elle capte les richesses créées au détriment de l’investissement empêchant la modernisation de notre appareil productif - et des salaires - provoquant ainsi une contraction de la consommation et de la demande intérieure. L’assèchement des ressources fiscales, lié aux stratégies de contournement de l’impôt des plus riches et à la baisse de revenus des autres, asphyxie les services publics. Un cercle vicieux est créé.

Comment les actionnaires ont-ils fait pour s’attribuer l’essentiel des bénéfices des entreprises mettant ainsi l’avenir en danger, socialement comme politiquement ? Quelle gouvernance a conduit à ce que de tels choix, en contradiction avec l’intérêt de moyen et long terme de nos entreprises aient pu être pris ?

globalisation et volatilité du capital

La globalisation et la volatilité du capital, tout comme l’évolution du droit français et européen ont permis de faire primer les stratégies financières sur les dimensions économiques et sociales de l’entreprise. Les banques ont alimenté ce cancer financier en orientant leurs crédits vers la croissance des marchés de capitaux plutôt que vers la création de richesses et d’emplois. La finalité principale de l’entreprise a été détournée vers la maximisation de la valeur actionnariale : organes de gouvernance simplifiés avec une concentration des pouvoirs, filialisation et montages sophistiqués autorisés par un droit du commerce « sur mesure », développement de l’externalisation et de la sous-traitance, rachats des capitaux d’entreprise par LBO, généralisation des pratiques d’optimisation fiscales, etc.

fragilisation du droit du travail

La fragilisation du droit du travail et le Wall Street management ont été l’autre levier. Les droits d’information et d’intervention des salariés sur les décisions stratégiques et les choix de gestion ont ainsi été encore affaiblis par les réformes récentes. 75 % des cadres disent ne pas être associés aux choix stratégiques, et 55 % d’entre eux expliquent que régulièrement les choix et pratiques de leur entreprise entrent en contradiction avec leur éthique professionnelle. La financiarisation de l’entreprise et la perte de sens du travail conduisent à une démobilisation de l’encadrement. Inadapté à l’éclatement des entreprises en de multiples sociétés, le droit actuel permet aux véritables décideurs d’échapper à leurs responsabilités comme à la fiscalité. Les groupes multinationaux exercent un chantage à l’emploi sur les PME sous-traitantes comme sur les États, menaçant de délocalisation si les salaires, la fiscalité ou les droits des salariés ne sont pas abaissés.

inverser le processus

Il est indispensable d’inverser ce processus et de mettre les richesses créées au service du progrès économique, social et environnemental. Pour sortir – enfin ! - de la crise, mais surtout pour répondre aux enjeux d’aujourd’hui et de demain. Construire le numérique autrement en empêchant la captation des richesses par les GAFA et avoir un modèle de production et de consommation soutenable à long terme et respectueux des ressources environnementales.

Définanciariser l’entreprise : une urgence à notre portée

Entreprise : un système déséquilibré

Il n’y a pas de définition légale de l’entreprise. Le droit commercial ne connait que la société de capitaux, dont l’objet social est de maximiser la rentabilité du capital investi et le droit du travail limite la responsabilité envers les salariés à l’employeur en titre. Cette carence juridique déséquilibre le système de pouvoir au sein de l’entreprise. Elle permet d’assimiler les dirigeants à de simples mandataires des actionnaires et de les intéresser notamment au rendement par un système de rémunération avec des stock-options. Leur mission peut ainsi être réduite à tout mettre en œuvre pour augmenter la valeur de l’action et de son rachat à court terme. Ainsi de nombreux dirigeants d’entreprises cotées en bourse délaissent leur mission d’innovation et de création collective.

faire évoluer le statut des entreprises

Le modèle de l’économie sociale et solidaire doit être encouragé et renforcé pour surmonter les contradictions auxquelles il est exposé dans un cadre concurrentiel. Cependant, nous refusons de nous limiter au tiers secteur. C’est le statut même des entreprises que nous devons interroger et faire évoluer, pour mettre en place une nouvelle définition juridique de l’entreprise, comme collectif humain créateur de richesses.

les 4 piliers de l’entreprise

Dans le prolongement des travaux universitaires de Blanche Segrestin et Armand Hatchuel, nous pensons que la loi doit créer une nouvelle définition juridique de l’entreprise sur quatre piliers :

1

Reconnaître que la mission de l’entreprise est une mission de création collective, de production d’un bien ou d’un service utile à la société.

2

Reconnaître en droit un statut au chef d’entreprise, distinct du simple mandataire désigné par les actionnaires.

3

Reconnaître que l’entreprise représente une communauté de travail engagée, et renforcer les droits des salariés à intervenir sur les choix de gestion quotidiens de l’entreprise.

4

Instituer une règle de solidarité, faire assumer par exemple aux actionnaires les coûts sociaux de courts et longs termes résultant des choix de gestion. Un « contrat d’éthique productive » pourrait en être l’outil. Dans ce contrat, les voix des actionnaires seraient modulées en fonction de la durée de leur engagement.

Des mesures immédiates articulées autour de 2 leviers

renforcer le rôle des salariés

Il s’agit d’abord de renforcer le rôle des salariés et de restaurer le rôle contributif de l’encadrement, de façon à faire primer l’avis de celles et ceux qui défendent les intérêts de l’entreprise à moyen et long terme. Limitée à un devoir de loyauté aux directives financières, la responsabilité professionnelle doit être réhabilitée et adossée à l’intérêt général. Trop souvent instrumentalisée comme un outil de communication et de marketing, la Responsabilité sociale de l’entreprise (RSE) doit fonder le travail sur des choix éthiques définis par la société toute entière. Le niveau de qualification de l’encadrement, obtenu grâce à un effort et un financement collectif de la société, confère des responsabilités, qui se traduisent notamment d’un point de vue salarial, mais aussi en terme de « droits et devoirs » vis-à-vis de la collectivité et de l’intérêt général. L’enjeu est de créer un droit de refus, d’alerte et de proposition alternative pour faire primer l’éthique professionnelle. Le récent statut de lanceurs d’alerte adopté par la loi Sapin 2 constitue une première pierre, qui doit être inscrite dans un cadre collectif en faisant le lien avec les Institutions Représentatives du Personnel.

Affaiblies par les récentes réformes, les Instances Représentatives du Personnel devraient pouvoir imposer des stratégies de long terme. En premier lieu, il s’agit de permettre aux comités d’entreprise de disposer de droits d’informations renforcés et élargis et des moyens supplémentaires, leur permettant de connaître la situation et la stratégie des investisseurs, les pactes d’actionnaires, et la situation de l’ensemble de la chaîne de production à laquelle ils sont intégrés, du groupe donneur d’ordre, aux filiales et sous-traitants.

renforcer les droits des salariés

Il est ensuite nécessaire de protéger nos entreprises des fonds prédateurs, renforcer les droits des salarié-es en cas de cession d’entreprise. Aligner le droit de reprise sur le droit existant en cas de de dépôt de bilan, permettrait déjà aux salariés d’être à égalité avec le PDG à la table des négociations. Il faut ensuite réformer en profondeur les tribunaux de commerce, empêchant le clientélisme et garantir une prise de décision faisant primer les intérêts de long terme. Le renforcement de leurs prérogatives permettrait, par exemple, aux salarié-es de les saisir de façon préventive en fonction de l’évolution de l’endettement. Les comités d’entreprise doivent disposer de droits décisionnels sur la stratégie d’entreprise, et notamment celui de contrôler et de saisir une instance qui pourrait suspendre les aides publiques lorsqu’elles ne bénéficient ni à la recherche, ni à l’investissement, ni à l’emploi. De même, les comités d’entreprise doivent disposer d’un droit suspensif sur les licenciements, permettant à la justice de vérifier la réalité du motif économique et aux salarié-es de proposer des alternatives. Enfin, l’entrée récente des salarié-es dans les conseils d’administration doit être confortée pour leur permettre de disposer d’un droit de veto dans les entreprises privées, du tiers des droits de vote dans les entreprises publiques, la société civile et de l’État occupant les 2/3 restant.

Mettre la finance au service de l’économie

réorienter les crédits bancaires

Il s’agit de mettre les banques et la finance au service de l’économie et de faire baisser le coût du capital qui asphyxie les entreprises françaises. La Banque Publique d’Investissement doit être dotée de ressources à la hauteur de ses missions. Il est également indispensable de revoir ses missions pour en faire le cœur d’un pôle financier public, au service de l’économie réelle. Appuyés sur l’action de ce pôle financier public, les moyens de l’intervention publique dans l’économie (réglementation bancaire et financière, bonifications d’intérêts et garanties d’emprunts, nouvelle sélectivité de la politique monétaire) doivent permettre de réorienter les crédits bancaires vers des projets répondant à des critères précis en matière de création d’emplois et de valeur ajoutée, de formation et de recherche, de préservation des ressources naturelles.

lutter contre la fraude fiscale

Le législateur doit aussi tirer les leçons de la dérégulation des années 80 responsable de la crise de 2008 et interdire les montages opaques, diluant la responsabilité et permettant de s’exonérer de l’impôt. Les rachats d’actions, achats d’entreprises par effet de levier (LBO), et montages financiers permettant de créer des faillites artificielles et de transférer la valeur dans des paradis fiscaux doivent être combattus. La fiscalité des entreprises doit cesser de favoriser les grands groupes et de frapper lourdement les PME.

L’impôt sur les sociétés doit être alourdi pour les entreprises qui contribuent à la financiarisation de l’économie ; il doit être allégé pour celles qui favorisent l’emploi, les salaires, l’investissement, la préservation de l’environnement. Il s’agit bien sûr d’un enjeu européen et international, mais des mesures législatives, le renforcement des services fiscaux, et la fin du « verrou de Bercy » et de l’opacité sur les redressements fiscaux, permettraient de limiter considérablement la fraude et l’optimisation fiscale.

Contrôler la rémunération des dirigeants

Enfin, pour définanciariser la gouvernance de nos entreprises, nous devons stopper l’achat des comités de direction par les actionnaires à coup de stock-options et retraites chapeau, amplifié par les mesures de défiscalisation de la loi Macron de 2015. Il convient de distinguer le poste de président du conseil de celui de directeur général. Il est en outre indispensable d’assurer la transparence et le contrôle sur les critères de rémunération des cadres dirigeants et rendre obligatoire la présence de représentants des salariés dans les comités d’audit et de rémunération.

Qu’est-ce que l’Ugict ?

Union Générale des Ingénieurs, Cadres et Techniciens

L’UGICT-CGT est la référence syndicale pour les Ingés, Cadres et Techs. Plus de 80 000 syndiqués de la CGT y sont affiliés, dans toutes les branches professionnelles et sur tout le territoire.
Ingénieurs, cadres et techniciens, nous agissons pour que nos aspirations et notre vécu au travail se traduisent dans des revendications syndicales majoritaires.

En intégrant que nous avons un rapport spécifique au travail du fait de nos fonctions, notre niveau de responsabilité, notre expertise et notre rôle dans l’organisation du travail, notre choix est aussi celui de la solidarité avec l’ensemble des salariés, car nous partageons les mêmes intérêts.

professionnellement engagés et socialement responsables

Nous agissons pour :
• obtenir la reconnaissance des diplômes et des qualifications dans les salaires et les responsabilités ;
• obtenir des droits individuels et collectifs pour faire valoir notre rôle contributif et notre éthique professionnelle, agir ensemble pour une réelle réduction du temps et des charges de travail ;
• défendre la retraite par répartition et la retraite AGIRC. Nous revendiquons la validation des années d’études pour le calcul des droits à la retraite ;
• conquérir l’égalité professionnelle entre les femmes et les hommes ;
•  mettre fin au Wall Street management et développer une démarche de management alternatif.

L’Ugict est membre d’Eurocadres, organisation associée à la CES (Confédération Européenne des Syndicats), afin de travailler à de réels droits sociaux en Europe. L’Ugict est signataire du « Manifeste pour la responsabilité des cadres ». Au niveau mondial, l’Ugict est membre d’Union Networks International, afin de mieux développer les convergences des revendications dans le secteur des services.

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